Oussama Kheddam, un Lyonnais à Paris

De l'Algérie à Paris en passant par Villeurbanne, des caméras de Xavier Giannoli à celles des frères Rifkiss, le comédien Oussama Kheddam a gardé de très fortes attaches avec ses racines lyonnaises. De son propre aveu, il en nourrit même ses personnages...Rencontre avec un gros bosseur qui a gardé son âme de gone.
Notre rencontre avec Oussama Kheddam
Par Mathilde Beaugé
Vous avez grandi au Tonkin. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance dans ce quartier ?
« Sans rentrer dans le cliché, il y avait beaucoup de mixité et de partage. J’étais invité à manger des nems chez l’un, de la paëlla chez l’autre. Les plats passaient d’étage en étage, j’ai vraiment ce souvenir-là. Le Tonkin est un quartier assez spécial, car il est surélevé, il n’y a pas de voitures. On jouait au foot toute la journée et au loup du matin au soir, on faisait nos devoirs et on sortait tous ensemble. J’adorais cette ambiance.
Votre envie de faire du jeu un métier, ça vient de là ?
Non, pas encore. J’étais un enfant assez dans sa bulle. Pour être honnête, le métier d’acteur, je ne le connaissais même pas. Je ne dirais pas que je regarde des films depuis que je suis tout petit car ce n’est pas vrai. Je passais mon temps à jouer dehors avec mes copains.
Aujourd’hui, vous vivez à Paris. Quel regard portez-vous sur cette période ?
J’ai beaucoup de nostalgie, c’est là que je me suis construit. Dans mon travail, j’essaie d’amener une façon de parler, un accent, des intonations ou des expressions de chez nous. J’en joue. Dans Family Business j’en ai placé des “pélo” ! Je me régale à faire ça, et je reçois souvent des messages de mecs de Vénissieux, de Lyon 9e, ou de Villeurbanne qui reconnaissent que je viens de chez eux. Ça me fait plaisir, et c’est une vraie force. Je n’hésite vraiment pas à dire que je suis lyonnais, c’est une vraie fierté pour moi. Je ne rate pas un match de l’OL, je ne rigole pas avec ça. Je ne suis pas devenu parisien, je suis un Lyonnais à Paris. Un gone quoi !
Il y a un autre sujet avec lequel vous ne plaisantez pas, c’est la nourriture. Pourquoi est-elle si importante à vos yeux ?
Je trouve qu’on a, à Lyon, un rapport au fast-food et au snacking que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. À Villeurbanne, il y a un snack tous les deux mètres et on mange des kebabs avec le vrai pain turc. On a la fierté d’avoir créé la sauce gruyère et le tacos. En Thaïlande, en Espagne ou en Algérie, on trouve des snacks “tacos lyonnais” ! J’ai grandi dans une culture où on n’était pas trop du genre à inviter les copains à la maison. Quand on se retrouvait en grosse équipe et qu’on voulait se poser et rigoler, nos plus gros fous rires, c’était dans les snacks.
« Je suis un Lyonnais à Paris. Un gone quoi ! »
À quel moment avez-vous compris que vous faisiez rire les gens ?
Être posé au quartier, c’est le plus grand terrain d’entraînement. Le niveau est hyper élevé. J’avais un bon niveau de vannes mais je n’étais pas non plus le plus fort. Ensuite, j’ai eu des premiers contacts avec le théâtre. En 6e, je devais écrire puis réciter un conte et le jour où je l’ai fait, je me souviens que ma prof était en larmes de rire. Ce spectacle de fin d’année, c’était mon premier souvenir de scène et c’était un moment assez magique.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller plus loin ?
Il y a eu l’ascension de Jamel Debbouze, de Gad Elmaleh, d’Éric et Ramzy… Humoriste, je ne savais pas que c’était un métier. J’avais 14 ans, je venais de partir du Tonkin et je me suis retrouvé à la MJC de Villeurbanne avec l’envie de faire comme eux, de monter sur scène et de faire des blagues. J’ai travaillé dur. Mon premier personnage de sketch, c’était un videur de boîte de nuit. À partir de là, j’ai rencontré Delphine Delepaut, une prof de théâtre d’improvisation, et j’ai commencé à suivre ses cours, mais très vite, j’ai dû arrêter par manque de moyens. Dans le même temps, j’ai rencontré Philippe, qui faisait du théâtre classique, et c’est le seul gars de toute ma vie qui m’a appris ces bases-là : les axes, comment respirer, comment me déplacer, construire un personnage avec les différentes parties de son corps… On faisait ça à la sauvette, dans la cour au quartier ou dans une salle libre de la MJC.
Et les premières scènes ?
J’ai fini par reprendre les cours d’impro, et à la fin de l’année, on est allés jouer nos sketchs à L’Accessoire à Lyon et je me suis régalé. Là-bas, et aussi à L’Espace Gerson, on m’a dit : “Tu reviens quand tu veux.” J’ai bossé tout seul de mon côté et c’est devenu mon petit secret. Je prenais mon sac à dos, je n’en parlais à personne et j’allais en ville monter sur scène. Personne ne le savait, ni mes potes, ni ma famille, ni ma meuf.
Pourquoi ?
C’était mon truc à moi. J’avais trop peur qu’on me dise : “Mais pour qui tu te prends toi ?” Une fois, à Gerson, on m’a parlé d’un film qui allait se tourner. J’ai été pris pour le rôle et ça a été le coup de foudre, j’ai su tout de suite que je voulais faire ça de ma vie et rien d’autre. Pourtant, je ne connaissais pas du tout ce monde-là, je n’étais pas un grand cinéphile.
Aujourd’hui, on vous retrouve dans plusieurs séries, aux côtés de Géraldine Nakache ou de Vincent Lindon, et bientôt à l’affiche d’Un champ de fraises pour l’éternité, d’Alain Raoust. Le chemin a-t-il été long avant d’en arriver là ?
Oui, j’ai fait mille trucs. J’ai repris mes études, j’ai bossé partout, j’ai été animateur et j’ai travaillé des années avec des enfants, c’était une vraie passion. J’ai même voulu travailler dans l’Éducation nationale ! Quand j’avais 16 ans, un agent m’avait dit que je ne pourrais pas percer si je ne montais pas à Paris. Pour moi, c’était hors de question de quitter Lyon, c’était jamais de la vie. Je me disais que je serais le premier acteur à y arriver. À 23 ans, je l’ai rappelé. J’étais décidé, j’ai tout laissé tomber.
« La comédie est une mélodie, chacun a sa musique »
Votre filmographie est très éclectique, il y a beaucoup d’humour mais aussi du drame, des seconds rôles… Qu’est-ce qui vous attire le plus ?
Je me suis formé pour être capable de tout faire. Évidemment, j’ai plus de facilités dans la comédie, mais je me régale tout autant dans le drame. Mon objectif, c’est de pouvoir aller partout. C’est un métier où on est vite catégorisé. J’ai envie de tout faire, mais j’arrive aussi à une période de ma carrière où je fais super gaffe, je refuse beaucoup de choses. La critique vous décrit comme un comédien avec un « rare sens du groove ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Pour moi, la comédie c’est une mélodie, c’est de la musique. Ça se joue à un silence, une respiration, si on attend une seconde de trop, ce n’est pas drôle, et une de moins, ça l’est. C’est du rythme. Pour être honnête, je ne sais même pas si c’est un truc qui se travaille. Les bébés peuvent avoir un sens de l’humour incroyable ! Aujourd’hui, on a des monstres là-dedans, comme Jonathan Cohen.
On vous voit souvent entouré de grandes bandes de potes. Dans vos rôles, il y a souvent un rapport très fort à l’amitié… C’est important pour vous d’être un « gars sûr » ?
[Il rit.] C’est vrai qu’on retrouve ça dans quasiment tous mes rôles ! Dans ma jeunesse, j’appelais ça “l’amitié soldat”, à la vie à la mort, comme une famille que l’on se choisit. Aujourd’hui, je suis tellement comblé à ce niveau-là. Sur Hippocrate, je me suis fait beaucoup de potes, on est vraiment amis, on part en vacances ensemble. Pour moi, c’est un des plus beaux métiers du monde. On ne sauve pas des vies, mais on sauve des âmes.
Qu’aimeriez-vous dire aux jeunes des quartiers de Villeurbanne qui voudraient se lancer dans le cinéma ?
J’entends souvent dans des débats l’argument qu’il n’y a que des blancs sur les tournages. Mais ils n’y sont pour rien : ils sont là parce qu’ils sont informés. Comment ça se fait qu’il y ait un truc comme le Studio 24 à Villeurbanne, à 800 mètres de chez nous, et qu’on ne soit pas au courant ? Je ne savais même pas ce qu’était un conservatoire ; si j’avais su ça, je l’aurais tenté, mais personne ne me l’a dit au moment de mon orientation. Je le dis aux jeunes Lyonnais qui m’écrivent : il faut se former. Si on veut vraiment devenir acteur, on doit être un athlète de l’émotion. Il faut prendre ce métier au sérieux sans se prendre au sérieux et pour ça, il y a des écoles, à Paris mais aussi à Lyon. Il y a l’Ensatt, l’Acting Studio, il y a des tas de métiers, preneur de son, chef déco, script, perchman… Plus les jeunes se forment et plus on mettra de la couleur sur les plateaux. À Lyon, les jeunes des milieux populaires ne percent que dans le foot et la boxe. Des acteurs, il n’y en a pas tant que ça. Alors oui, il y a Florence Foresti ou Clovis Cornillac, mais il y en a aussi plein d’autres qui ne disent pas qu’ils viennent d’ici. Il faut le clamer haut et fort. »
Biographie
Le comédien voit le jour en 1990 en Algérie, dans une petite ville proche de la Méditerranée. Très vite, ses parents – alors professeurs de musique, de français et d’arabe – déménagent à Lyon où il grandit, d’abord dans le 6e arrondissement, puis dans le quartier du Tonkin, à Villeurbanne. Ses premiers sketchs se jouent devant la famille, puis Oussama Kheddam se forme à l’improvisation à la MJC de Villeurbanne et auprès d’un prof particulier qui lui apprend les bases du théâtre classique. La scène devient son jardin secret. Il y monte en cachette de ses proches, à L’Accessoire ou à L’Espace Gerson, jusqu’à son premier tournage dans un téléfilm pour France 3.
Après quelques années de formation au Laboratoire de l’acteur, d’Hélène Zidi et des dizaines de jobs entre Lyon et Paris, sa filmographie totalise désormais longs-métrages (La Lutte des classes, Une Année difficile, Rien à perdre…) et séries (Family Business, Hippocrate, Détox, Les Enfants sont rois, D’Argent et de sang…). En novembre 2024, il a même présidé le jury du Festival du film court de Villeurbanne.
À travers ses rôles, Oussama Kheddam démontre un indéniable sens du rythme et de la comédie, dans le sillage d’un Jonathan Cohen ou d’un Gad Elmaleh. Mais sa gouaille et son « parler lyonnais » l’amènent aussi dans des registres plus tendres et dramatiques, jusqu’à occuper le haut de l’affiche du prochain film des frères Rifkiss, La Petite Graine, tourné à Lyon, dont la sortie est prévue cette année.
Le carnet d'adresses d'Oussama
La Marinade« C’est dans ce restaurant que j’ai mangé un truc gratiné pour la première fois de ma vie et je m’en souviens encore. Ils cuisinent avec amour et leur sauce gruyère est folle. »
110 rue du 4-août-1789, Villeurbanne Topkapi
« J’y vais depuis que je suis tout petit. Leur pain est dingue, leur recette se passe de génération en génération. »
50 cours Emile-Zola, Villeurbanne Actuel
« Les meilleurs coiffeurs. Ils sont là depuis plus de 20 ans et n’ont même pas besoin qu’on leur fasse de la pub tellement ils sont victimes de leur succès. »
162 cours Tolstoï, Villeurbanne Brasserie de l’Est
« J’ai grandi avec la culture de la street food et des snacks, mais aujourd’hui ça a un peu évolué et j’aime bien me faire une petite quenelle ou une brasserie Bocuse de temps en temps. Celle des Brotteaux est extraordinaire. »
14 place Jules-Ferry, Lyon 6e F5 Foot Five
« Ça, c’est vraiment pour le clin d’oeil. C’est là-bas qu’on se retrouvait à l’époque avec mes potes. On se sent chez soi, l’ambiance est très familiale. »
33 rue Ernest-Renan, Vaulx-en-Velin