Mia Habis et Omar Rajeh
Elle est danseuse, lui est chorégraphe. Mia Habis et Omar Rajeh ont quitté le Liban pour la France, il y a trois ans. Coup de cœur de voyage, Lyon est finalement devenue leur terre d’adoption et le fief de leur compagnie, Maqamat, invitée à participer à la prochaine Biennale d’art contemporain de Lyon.
Vous êtes tous les deux originaires du Liban. Comment êtes-vous arrivés à Lyon ?
Mia Habis : Nous avions aussi pensé à l’Allemagne mais comme je suis francophone c’était plus facile ici. Lyon a toujours été un coup de cœur. On y est passé plusieurs fois. Géographiquement c’était pratique, Omar travaille avec l’Italie, la Suisse, la Belgique et se déplace beaucoup… Lyon est central, c’est un point stratégique ! C’est aussi une ville très foisonnante au niveau de la danse et des artistes.
Omar Rajeh : Notre priorité c’était notre enfant (ils ont un petit garçon de 7 ans, Kinan, NDLR). On voulait un endroit sûr, calme, joyeux. Venant d’un pays avec une situation complexe, on avait besoin de se reposer. Trois ans après notre arrivée, Lyon est toujours aussi belle, on est content de revenir ici quand on voyage ! Les gens sont vraiment gentils, accueillants. C’est ce qu’on voulait.
Quelle a été votre première émotion culturelle et artistique en arrivant ici ?
O.R : J’adore les parcs. Nous habitons tout près des quais et j’adore y flâner, marcher le long de la rivière. J’aime aussi énormément la place des Terreaux, c’est l’une des premières images de Lyon gravées dans ma tête. D’ailleurs, on s’est installés juste à côté.
M.H : J’ai été prise d’un sentiment très fort la première fois que je suis allée au parc de la Tête d’Or. Je ne m’attendais pas à voir une telle étendue verte, c’était si vaste ! Ça m’a fait quelque chose. J’adore aussi la dynamique de la vie culturelle, nous essayons de tester chaque lieu et chacun a sa spécificité : j’ai le souvenir de très bons moments à l’Opéra Underground, au Théâtre de la Croix-Rousse, à la Villa Gillet. Notre dernier coup de cœur, c’est le concert de Jungle aux Nuits de Fourvière !
Fin mars vous avez été pressentis pour prendre la direction de la Maison de la Danse. Travailler à deux, qu’est-ce que ça représente pour vous ?
M.H : Notre rencontre à Beyrouth a d’abord été artistique et professionnelle avant d’être amoureuse. Nous avons commencé à travailler ensemble en 2008, Omar cherchait une danseuse et il m’a proposé de venir sur son spectacle. Très vite, j’ai commencé à faire plus, à l’assister dans ses chorégraphies, ses costumes, sa scénographie, sa dramaturgie. Travailler à deux permet une répartition de la charge des responsabilités. Nous sommes souvent d’accord, mais quand on n’est pas d’accord c’est encore mieux. Ça crée le débat et nous met dans une attitude vis-à-vis de l’autre qui est davantage dans l’ouverture, moins braquée.
O.R : Le projet avec la Maison de la Danse ne s’est finalement pas fait mais ça a été une expérience très positive et on a eu un super retour de la part du jury. On en avait très envie mais nous comprenons aussi tous les enjeux autour de cette position. Ça a été un bon exercice pour nous, afin de renforcer notre vision des choses, notre philosophie, celle qu’on pourra appliquer dans nos prochains projets.
Au-delà de la danse, vous êtes très investis dans l’art contemporain. Vous aviez d’ailleurs ouvert un centre à Beyrouth, qui a dû fermer... Que s’est-il passé ?
M.H : Il s’agissait d’une structure de métal et de bois de plus de 1 000m2 avec plusieurs scènes, des studios, un restaurant… Nous avions conçu cet endroit comme notre espace rêvé. Ce centre a été démantelé et devait être reconstruit mais la situation économique et politique à laquelle nous sommes confrontés au Liban ne nous le permet pas.
O.R : Avoir un espace comme ça à Beyrouth n’était pas facile, on a dû se battre. Ça a été une très grande déception de devoir déménager. L’idée de Citerne était de créer un immeuble énorme, de faire bouger la ville. La situation s’est ensuite dégradée très vite et en 2019 on a senti que c’était le moment de partir. On a fait tellement de choses en deux ans ! On a connu beaucoup de moments où on devait agir dans l’urgence et s’attendre au pire. Avec le Covid, cette expertise en catastrophe a été très utile ! (rires).
Pouvez-vous nous parler de l'œuvre que vous allez présenter lors de la Biennale d’art contemporain ? Un travail sur le thème de la fragilité…
M.H : Le projet s’appelle Walking in Wrinkles. Nous serons installés aux Usines Fagor, où l’on a créé une structure mobile, avec de la robotique, qui se déplace dans l’espace. Elle interagit avec la présence des personnes autour d’elle. Dans la structure il y a un écran sur lequel défilent les images d’un film. Nous avons travaillé la dimension du cinéma, de la danse et de la robotique avec George McBriar, un Écossais centenaire, incroyable, qui vit à Albertville. Regarder son corps et son accumulation de tant de choses nous a permis de travailler sur la fragilité mais aussi sur la force et le passage du temps. Le résultat est très poétique, visuel, comme un voyage à travers les formes, les corps. Ça nous donne de l’espoir pour le futur.
Aujourd’hui, vous sentez-vous chez vous à Lyon ?
O.R : Je ne me sens pas du tout en exil ! On ne voulait pas bouger dans un endroit où nous nous sentions étrangers. Les nationalités ne sont pas si importantes dans ce monde. Nous ne sommes pas français, we don’t belong anywhere mais on sait d’où on vient et ce qu’on fait. Je ne me sens jamais étranger quelque part, même quand je voyage je me sens toujours bien, à la maison. On n’a pas perdu notre maison à Beyrouth, on en a gagné une autre.
M.H : Nous sommes venus dans un endroit que nous respectons, tout comme ses gens, son histoire. Nous y sommes respectés en retour, avec notre bagage et qui nous sommes. Pour avoir vécu à Londres, au Liban, à Paris ou à Lyon, je me sens toujours chez moi et je sais que je vais rentrer à la maison.
Quelles sont vos envies pour la suite ?
M.H : On a envie de tout ! (rires) Pour l’instant on est plongé dans ce projet, et on se lance en parallèle dans l’enseignement, nous avons d’ailleurs donné des workshops cet été. Nous sommes aussi dans plusieurs réflexions pour savoir si nous continuons, ou non, notre festival Bipod à Beyrouth. Il y a de beaux projets en préparation pour notre plateforme numérique et Omar sera prochainement sur scène, un peu partout en Europe, avec certaines de ses anciennes pièces.
Parmi tous ces projets, trouvez-vous encore le temps de danser ?
O.R : (rires) Pour nous, tous ces projets sont une forme de danse ! Quand j’ai commencé à travailler à Beyrouth, je n’avais pas l’ambition de diriger un festival, c’est venu d’une combinaison d’opportunités et de conditions, car tout était à construire. Je vois toujours les choses de cette façon. Les artistes ont besoin d’être de plus en plus impliqués dans le processus de décision pour faire entendre leur voix et inspirer les autres.
Biographie
Mia Habis et Omar Rajeh dansent tous les deux. Lui est chorégraphe, elle interprète. Ils dirigent ensemble la compagnie Maqamat, créée au Liban en 2002 et déplacée à Lyon depuis trois ans. Épuisés par le climat politique et économique du Liban, ils se sont installés à Lyon avec leur fils à l’aube du premier confinement. Basés dans le 1er arrondissement, près des quais de Saône, ils terminent tout juste une œuvre, entre robotique et chorégraphie, présentée cet automne à la Biennale d’art contemporain de Lyon.
Née à Londres en 1979, Mia commence la danse classique à l’âge de 3 ans et se forme aussi aux arts martiaux, au théâtre et au chant. Elle étudie la littérature et le marketing entre Beyrouth et la Sorbonne. Elle a rencontré Omar sur scène avant de devenir la directrice artistique du festival Bipod.
Né à Beyrouth en 1975, Omar s’est imposé comme une figure incontournable de la danse en France et au Moyen-Orient. Ses créations sont présentées un peu partout dans le monde. Son travail, intense et engagé, interroge à travers les corps les conflits sociaux qui déchirent son pays.
Les carnets d'adresse de Mia
"Un endroit très agréable en terrasse ou à l'intérieur, avec une créativité, une délicatesse et une attention particulière portée aux plats proposés, tout en simplicité".
"On peut voir la basilique depuis chez nous. J’adore cet endroit. C’est l’un des premiers sites que nous avons visité en arrivant à Lyon, j’aime toujours autant m’y promener, admirer la vue. Ça m’apaise."
"Un lieu vivant, chaleureux et agréable, dans sa composition et ses propositions. J’apprécie de m’y attabler et d’y faire des découvertes artistiques, ça me rappelle le Citern Beirut que l’on voulait créer."
Le carnet d'adresses d'Omar
"On y va tout le temps. C’est tout petit, ils font eux-mêmes leurs pâtes, tout est délicieux et ils sont très sympas. C’est notre coup de cœur à tous les deux. Vous êtes sûr qu’on ne peut pas le citer deux fois dans notre carnet d’adresses."
Quai Saint Vincent, Lyon 1er"C’est un espace proche de chez nous et des Subs, un lieu important dans notre aventure lyonnaise. J’aime y marcher le long de la rivière."
"Un beau lieu et un endroit dynamique où l’on peut trouver différents artistes avec lesquels travailler. Il y a par exemple Grame (Générateur de ressources et d’activités musicales exploratoires) avec qui nous menons un projet sur trois ans dans le cadre de notre plateforme citerne.live."