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Japan Touch Haru & Geek Touch
Festival
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Issu de la culture SF américaine et largement nourri par les univers du manga, de la pop culture et du jeu vidéo, le cosplay consiste à faire "vivre" dans le monde réel, des personnages imaginaires. Une pratique ludique et complexe particulièrement implantée à Lyon. Reportage.
En croisant Dark Vador au bras de Catwoman, vous doutez de votre santé mentale ? Rassurez-vous. Tout va bien. Vous devez juste être tout près d’une convention, comprendre un rassemblement dédié à la pop culture regroupant pêle-mêle merchandising, spécialités culinaires venues d’Asie, animations interactives et personnalités du cinéma ou du web. Profitez-en pour rencontrer des cosplayeurs, curieuses créatures tout droit sorties d’un plateau de cinéma. Derrière le costume ? Des geeks mais pas seulement, de tous les âges et de tous les milieux sociaux, passionnés par la culture SF, le manga, les jeux vidéo ou le cinéma, qui ont choisi de faire vivre leur super-héros dans notre réalité.
Contraction du mot « costume » et du verbe anglais « to play », « le cosplay est l’art de se costumer, en fabriquant le plus souvent, mais pas toujours, la tenue d’un personnage issu d’un univers fictif, afin de présenter cette création sous forme de performance dans l’espace public », résume David Peyron, Maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication (voir plus bas son interview). Historiquement, ce que l’on pourrait accepter comme la première convention, la Worldcon, s’est tenue à la fin des années 30 aux Etats-Unis sous la houlette de Forrest J.Ackerman dit «Monsieur Science-Fiction». Ce n’est qu’en 1984 que le mot est utilisé pour la première fois par un journaliste japonais, Nobuyuki Takahashi. Le pays du Soleil Levant, fort d’une culture manga aussi importante que celle des comics aux USA à la même époque, a très tôt vu le cosplay émerger auprès des fans. En Europe et dans les autres pays du monde, c’est le succès lié au jeu vidéo et le développement du web, particulièrement dans les années 2000, qui fait véritablement émerger le phénomène, indissociable de la culture pop.
Les pratiquants sont d’abord des fans. Se cosplayer, c’est en effet rendre hommage, avant toute autre raison, à des œuvres et des personnages. S’il y a sans doute une envie de trouver, dans l’univers fantasy, le confort d’un monde où les règles sont clairement établies et où les méchants sont connus, le cosplayeur n’est pas déconnecté de la réalité. Au contraire. « Avec le cosplay (...) la sociabilisation est beaucoup plus simple. J’arrive à tenir facilement une conversation avec un inconnu même sans être en costume alors que je n’arrivais pas à demander une baguette de pain à la boulangerie », explique BlakiPa. Même analyse chez Ayumi : « Je suis quelqu’un de très réservé, de très timide et le cosplay m’aide à aller vers les autres.»
Plus que jamais la pratique effectue des allers-retours constants entre réel, imaginaire et numérique. Et, si les réseaux sociaux sont les médias favoris des cosplayeurs, c’est sans doute parce que l’aspect communautaire du mouvement fait partie de son ADN. En effet, si la partie « création » de costume est plutôt solitaire, c’est aussi une phase d’échanges, de conseils et d’encouragements en ligne via Instagram ou TikTok.
Vient ensuite, dans un second temps, un moment d’« expression» où le cosplayeur retrouve ses pairs en «vrai », lors de shootings ou de conventions, pour faire vivre et partager sa passion. Or, il se trouve que Lyon est une place forte en la matière depuis plus de 20 ans ! « La ville a très tôt embrassé la culture des conventions. Elle bénéficie d’un bassin geek tourné vers la culture du jeu vidéo depuis les années 80 avec Infogrames puis Arkane, dans les années 90 (voir aussi le numéro 11 d’À la lyonnaise NDLR) », précise David Peyron. Une histoire qui bénéficie au cosplay, la puissance économique de la filière ayant su servir la culture geek. Car oui c’est un fait : monter un festival coûte cher ! Les organisateurs doivent pouvoir compter sur des investisseurs fiables mais aussi des acteurs volontaires pour animer l’événement.
Si Paris reste le lieu des manifestations les importantes, avec notamment le salon Japan Expo, porte étendard des conventions en France, le calendrier lyonnais compte de grands rendez-vous dont le Festival Cosplay en avril, la Geek Touch et de la Japan Touch Haru en mai, Lyon Hanabi en août, la Fête du Chapelier en septembre ou la Japan Touch, en décembre. Parmi nos préférés, le festival des mondes de l’imaginaire, Yggdrasil, tout juste terminé, rassemble une fois par an fées, trolls, vikings, artistes body painters, rôlistes et amateurs de cocktails mystères concoctés au Dragon qui fume. Autrement dit pas d’excuses ! Il y a toujours un moment dans l’année pour se lancer et oser monter sur scène, le temps d’un défilé ou, mieux encore, d’un concours de cosplay durant lesquels les participants créent de véritables prestations scéniques (chant, danse, combat, performance...) avec décors, musiques, accessoires ou vidéos. « Le cosplay, est très pluridisciplinaire. Ça ne touche pas seulement au milieu artistique mais aussi au bricolage », glisse Ayumi. « Il faut beaucoup de débrouillardise », ajoute BlakiPa. ce dont, visiblement, les Lyonnais ne manquent pas.
Organisées toute l'année, les conventions sont le lieu idéal pour s'émerveiller en famille de l'inventivité des cosplayeurs de tous horizons.
CLERMONT GEEK CONVENTION
Le plus grand événement de la région !
Les 16 et 17 mars à la Grande Halle d’Auvergne de Clermont-Ferrand.
clermontgeek.com
Geek dans l'âme et Maître de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université d'Aix-Marseille, David Peyron s'est intéressé au cosplay dans le cadre de sa thèse "La construction sociale d'une sous-culture : l'exemple de la culture geek", soutenue à Lyon en 2012. Décryptage.
Quel est le profil type du cosplayeur ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le cosplay est une activité qui demande une solide connaissance et de nombreuses compétences. Les performances les plus abouties sont souvent l’œuvre de cosplayeurs ayant une trentaine d’année. Si en France on réalise soi-même son costume, cela demande tout de même un investissement financier. Il faut avoir intégré le monde du travail pour assurer un certain niveau de prestation. Bien entendu beaucoup d’adolescents commencent dans leur chambre en visionnant les tutos disponibles sur internet afin de les aider à réaliser leur premier costume et à trouver leur univers.
La pratique du Cosplay en France a-t-elle des particularités ?
Les cosplayeurs français ont une vraie culture du « fait-main » contrairement au Japon où présenter un costume acheté n’est pas un problème. Le cosplay, en France, a été développé par des amateurs ayant toujours eu le souci de mettre une touche très personnelle à leur réalisation. Autre spécificité, le cosplayeur français est avant tout fan d’un personnage avant d’être cosplayeur. C’est pour cette raison qu’il n’en a pas plus de deux ou trois à son tableau et ce afin d’y apporter d’innombrables détails au fil des ans. A l’étranger, on est souvent cosplayeur avant d’être fan et incarner des personnages que l’on n’a pas choisis à la base n’est pas tabou.
Vous considérez que le cosplay est un parfait exemple de sous-culture populaire, que voulez-vous dire par-là ?
La culture populaire ce n’est pas ce qui est vu par le plus grand nombre mais plutôt ce qui est accessible et transmissible. Le cosplay est encore un loisir de niche pourtant si on veut être « un vrai » il faut une solide connaissance de la culture du manga, du comics ou de la SF ce qui implique de nombreuses recherches. Le souci d’authenticité est un véritable enjeu et l’amateurisme a vite ses limites. Puisque le but de l’exercice n’est pas seulement le fait de copier un personnage mais de se l’approprier, il s’agit donc bien d’un élément constitutif d’un mouvement culturel. De plus, la culture populaire c’est ce qui est transmis au fil de l’histoire. Les héros grecs de l’antiquité sont aujourd’hui incarnés chez Marvel eux-mêmes avant d’être réinterprétés par les cosplayeurs du monde entier.
Ayumi pratique le plus souvent en solo. Même si le cosplay lui a permis de faire de belles rencontres, dont sa témoin de mariage, c’est le plus souvent loin de la foule qui l’angoisse que cette diététicienne vit son aventure costumée. « Moi ce qui me fait vibrer dans le cosplay, c’est de mettre en scène le costume dans un super bel endroit et de garder de jolies photos. Ça montre l’accomplissement du début jusqu’à la fin du costume. » Aurait-elle pensé à ses débuts, en 2014, que ce passe-temps lui rapporterait de l’argent ? « Je n’ai pas décidé de monétiser mon activité mais j’ai rapidement eu deux-trois personnes qui voulaient me soutenir. » Ces dons lui permettent d’équilibrer les dépenses liées à son art. Il n’est cependant pas question d’en faire un métier (réalisation de costumes ou d’accessoires, animation de stands pour l’industrie du jeu vidéo, de conférences ou de spectacles...): « Je ne pourrais pas devenir professionnelle car je ne veux pas me forcer à travailler sur un sujet qui ne m’inspire pas. »
Pour suivre son travail sur Instagram : AyumiLaurie
En 2012, les amis d’Artemis l’entraînent dans une convention. C’est là qu’elle découvre les cosplayeurs. Elle apprend avec internet « en (...) se ratant beaucoup » et enfile son premier costume l’année suivante. Depuis, elle n’a jamais cessé de s’adonner à sa passion. « C’est très libérateur pour moi. Mon métier d’expert-comptable et mon milieu social sont très cadrés, assez stricts. Le cosplay c’est tout l’inverse: je peux créer ce que je veux, être ce que je veux, faire tout ce que je veux. » Cette compétitrice dans l’âme, qui a décroché plusieurs médailles à la Coupe de France de Cosplay Online, un concours national de vidéos, n’hésite pas non plus à ouvrir les portes de son atelier aux débutants et à partager ses connaissances pour « faire progresser les autres comme les autres nous ont fait progresser ».
Pour suivre son travail sur Instagram : Artemis_cosplay
Pour BlakiPa, pédicure-podologue de profession, le cosplay a été, selon ses termes, une « psychothérapie ». Alors qu’il traverse une période difficile, à la recherche d’un but, ses créations lui permettent de vaincre les complexes liés à son apparence. Poussé par son envie de se sociabiliser et « d’intégrer une famille », il commence en 2017 par un cosplay placard, avec « deux, trois trucs qui traînaient dans la penderie ». C’est ensuite avec son cosplay de Milo James, du long-métrage d’animation Atlantide, l’empire perdu, qu’il connaît son heure de gloire sur les réseaux sociaux... tout en gardant la tête froide : « C’est un jeu dangereux les réseaux sociaux. On va toujours en vouloir plus quitte à développer une certaine dépendance. L’important, c’est juste de se faire plaisir. »
Pour suivre son travail sur Instagram : Blakipa