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Naïs Pirollet, une cheffe en or ?

Publié le 25/11/2022

La candidature de Naïs Pirollet au concours Bocuse d’Or est exceptionnelle à plus d’un titre. Pour sa précocité, parce qu’elle est engagée dans la team France depuis trois ans, mais aussi parce que la lyonnaise sera la première femme à représenter la France et la seule candidate de cette finale. Quatre bonnes raisons d’aller à la rencontre de cette toque bien faite.

A quel moment avez-vous su que vous feriez de la cuisine votre métier ?

En seconde, j’ai eu l’occasion de faire un stage chez Stéphane Froidevaux, chef du restaurant Le Fantin Latour (1 étoile), à Grenoble. L’idée, c’était de me tester, voir si ça pouvait me plaire de travailler en cuisine puisque j’avais ça en tête depuis mes huit ans. Ma maman cuisinait et quand nous étions petits, on l’aidait. Au début, à faire des gâteaux de Noël et des petits biscuits, clin d’œil à nos origines alsaciennes. Très vite, j’ai demandé à en faire plus. Ma grand-mère m’a acheté mon premier livre de cuisine et quand je rentrais de l’école, en CE1-CE2, j’ouvrais mon livre et en fonction de ce qu’il y avait dans les placards, je concoctais une recette.

Après le lycée, vous intégrez l'Institut Paul-Bocuse à Ecully...

Je me suis inscrite à l’Institut Paul-Bocuse (IPB), mais j’ai d’abord été inadmissible parce que j’étais trop jeune : j’avais sauté une classe et comme je suis de fin d’année, j’ai eu mon bac à 16 ans. Or, il faut être majeur pour faire ses premiers stages. Je me suis un peu braquée, comme une vraie adolescente (rires) en disant que si la cuisine ne voulait pas de moi, je n’en ferais pas. Je me suis donc inscrite dans des écoles d’ingénieurs et des prépas intégrées. J’ai été admise à l’Insa à Lyon, mais finalement l’IPB m’a recontactée en m’invitant à postuler pour la rentrée de janvier. J’y ai fait un bachelor d’art culinaire et management de la restauration en trois ans. Major de ma promotion, j’ai été diplômée en octobre 2017.

Là-bas, vous travaillez au sein du restaurant d’application, Saisons, qui décrochera une étoile sous la direction de Davy Tissot, le futur Bocuse d’Or 2021…

Le courant est passé tout de suite, il m'a challengée, fait courir un peu. Un jour, il est venu me voir pour me demander si je parlais anglais. Quand j'ai répondu que oui, il m'a dit que j'allais participer à l'entraînement de l'équipe des Etats-Unis pour le Bocuse d'Or. Il faut savoir que le jour du concours, on a un commis qu'on ne connaît pas. Les Etats-Unis faisaient un dernier entraînement à blanc, en France, le pays cherchait un profil pour jouer ce rôle. Je suis arrivée hyper stressée et au bout de dix minutes, je me suis coupée à la mandoline ! Deux jours plus tard, ils ont gagné ! 

Vous partez ensuite deux ans chez David Toutain, à Paris, avant de rejoindre la team France et Davy Tissot ? 

Quand le chef Tissot m'a contactée, c'était idéal, je venais d'annoncer mon départ, je voulais voir autre chose, partir de Paris car ce n'était pas mon territoire. Je ne savais pas bien en quoi j'allais pouvoir l'aider mais je me suis dit : « Si on te propose ça, tu ne réfléchis pas, tu dis oui. »

On connaît la suite: Davy Tissot remporte le trophée en 2021 et vous devenez candidate pour la sélection France...

J’avais dans l’idée de faire le concours un jour mais pas tout de suite. C’est le chef et la team France qui m’ont convaincue. Sans doute voyaient-ils du potentiel. Je pensais que je n’avais pas l’expérience mais en réalité c’était le bon moment, j’étais complètement formatée Bocuse d’Or. J’ai de grosses lacunes en cuisine, parce qu’au final je n’ai que deux ans d’expérience, mais le concours je le connais, je l’ai dans la peau.

Vous passez les sélections France haut la main...

Je venais de l’équipe gagnante, je suis une femme et j’étais la plus jeune du concours. Ça faisait beaucoup mais je sentais que c’était possible. Avant d’arriver à Reims, j’étais stressée mais sur place, avec Cole Millard, mon commis, nous étions sereins. J’avais envie de porter les valeurs qui me poussent dans le métier, de montrer que tout le monde a sa chance, qu’il n’y a pas de parcours prétracé, de règles, que la magie de la cuisine c’est sa diversité.
Lors des épreuves, on a fait le travail pour lequel on s’était préparé. Il faut dire que j’avais passé plus de 50 heures à observer les gestes de Davy Tissot et Arthur Debray pour trouver comment gagner du temps. Ce sont eux qui m’ont formée pour la sélection France !

Comment vous préparez-vous depuis ?

L’un des objectifs de Davy Tissot lorsqu’il s’est présenté, c’était de construire les choses dans la durée. D’arrêter de faire du coup par coup. J’ai beaucoup de chance,
c’est la première fois qu’un candidat démarre avec des recettes, du matériel, des contacts, un réseau. J’ai des outils à disposition. Ils sont intégrés dans un système qui est en construction, donc avec des failles, mais qui m’a permis de travailler dans une sorte de prolongement. Bien sûr, Cole et moi on l’adapte à notre caractère,
on construit notre façon de travailler à nous mais nous n’avons pas été obligés de repartir de zéro. On avance à partir de l’existant, avec une team France qui transmet son expérience de la compétition. D’ailleurs, j’ai gardé le même rythme de travail, avec du sport, des séances de musculation adaptée et un coach mental.

Pour gérer la pression ?

Cela fait trois ans que je vis dans une bulle, j’essaye donc, par moments, de m’ouvrir, de lever la tête et de respirer.
Le temps d’une soirée, c’est bien aussi d’être juste une fille de 25 ans. Je suis bien entourée. Par mes amis qui m’aident à leur manière, qui sont là pour me dire
de souffler un peu, et par ma famille qui me soutient beaucoup. Ma petite sœur fait ses études de médecine à Lyon, on se voit assez souvent. Avec elle, je redeviens juste une grande sœur. Mes parents viennent aussi. C’est bien de savoir qu’avec eux, tu peux redevenir la petite fille qui râle pour décompresser. Parfois
tu as juste envie de pouvoir vider ton sac, c’est humain, mais il faut trouver les bons interlocuteurs pour le faire.

Naïs Pirollet avec sa toque

Comment était l’ambiance lors des Bocuse Europe ?

Bonne! J’avais peur que ce soit un truc où tout le monde serre les dents et fonce. En fait, c’est plutôt comme une partie de Monopoly. On joue tous nos dés, on avance nos pions, mais on s’amuse ensemble. Il n’y a que 24 personnes dans le monde qui sont en train de vivre ce que je vis. Obligatoirement, quelque chose nous lie.

Les sujets viennent de tomber, ça vous inspire ?

L’avantage c’est que j’ai assez peu d’expérience donc je pars du principe que je ne sais pas travailler les produits. Quelque soit le sujet j’ai besoin d’apprendre les techniques. Et ce sera pareil après, quand je retournerai travailler dans un restaurant. Je vais avoir des points très forts, le chevreuil, le brochet ou la lotte, mais dans des conditions très précises.

Après Tabata Mey, qui attend un bébé, et Jacques Marcon, devenu jury France, c’est finalement Édouard Loubet qui a pris la casquette de coach, comment ça se passe ?

On partage beaucoup de choses. Ses grands-parents viennent du même village de montagne que les parents de ma maman. C’est drôle non ? C’est ce genre de petites choses qui rassemblent et donnent confiance, le genre de coïncidence qui me plaît dans la vie. J’aime aussi beaucoup la mentalité de Jacques Marcon, son approche simple et sereine de la vie. Comme lui, je pense qu’on est seulement des cuisiniers. On est là pour représenter un pays, mais on cuit des carottes, on ne sauve pas des vies, on n’a pas les codes de la bombe nucléaire, on est là pour faire de la cuisine et ça, on le fait bien parce qu’on s’en donne les moyens.

Que représentait Lyon pour vous avant d’y vivre? Pourquoi est-ce une ville qui compte dans la scène food en France ?

Lyon a de nombreux atouts. C’est une ville à taille humaine et centrale à la fois. Elle a un accès rapide à la montagne, la capitale, la mer... J’aime l’idée de n’être jamais loin de rien. C’est aussi une ville de traditions où l’héritage gastronomique se mêle étroitement avec la modernité. Lyon est marqué par une culture du bien-manger et des bons produits. Ce qui en fait la richesse aujourd’hui c’est la diversité gastronomique qu’on y trouve. Les Lyonnais sont des épicuriens, des connaisseurs qui aiment profiter des bonnes choses. Lyon, c’est une partie de ma vie. J’en suis partie mais j’y suis vite revenue. Quand on aime...

Biographie

À 25 ans, Naïs Pirollet est la benjamine du Bocuse d’Or et la seule femme en lice parmi les 24 candidats engagés.
Née en 1997 à Nancy, elle a grandi à Briançon, dans les Hautes-Alpes avec ses quatre frères et sœurs, décroché son bac scientifique à 16 ans... et failli devenir
ingénieure. Ancienne élève de l’Institut Paul-Bocuse à Écully, elle y a travaillé aux côtés du chef Davy Tissot, avec qui elle a participé (et remporté) le précédent
Bocuse d’Or, en 2021.
Travailleuse appliquée, elle fait preuve d’une incroyable maturité et d’une grande humilité. Pour l’encourager, direction Eurexpo et le Sirha, Salon international
de la restauration et de l’hôtellerie, les 22 et 23 janvier 2023
. Épaulé par l’ensemble de la team France, Naïs aura 5 h 30 pour réaliser ses deux sujets dont un plateau pour 15 personnes à base de lotte, Saint-Jacques, garnitures végétales et préparation aux légumineuses et aux moules.

Le carnet d'adresses de Naïs

La Croix-Rousse, Lyon 4ème

« J’aime m’y promener, j’achète des trucs à manger et il y a des petites boutiques, des créateurs, des petits trésors à trouver dans les rues. »

« J’adore ce concept de cantine solidaire. Ce qui me plaît avec cette initiative, c’est qu’elle s’adresse à tout le monde, elle n’est pas réservée aux gens dans le besoin d’argent, mais pensée pour des gens dans le besoin de vie, de contact et ça, ça me parle, parce que pour moi, la nourriture, le repas, c’est fait pour ça. »

Autour de la place Sathonay, Lyon 1er

« J’y vais pour boire un verre de vin, prendre une bière, manger. Je vais à la Brasserie Sathonay (5 place Sathonay), au Micro Sillon (6 place Fernand-Rey) ou encore chez Morfal (16 rue Hippolyte-Flandrin). Des endroits avec plein de bonnes choses mais sans chichis. »

« Pour les jours où j’ai envie d’une bonne cuisine traditionnelle. »

Le village d’Écully

« J’ai mes habitudes, ma boulangère sait ce que j’aime, elle met de côté pour moi. Il y a aussi un super fromager qui a ouvert il y a deux ans. Et je vais chez Pignol. Baptiste Pignol était dans ma promo. Je suis toujours allée chez eux avec ma maman quand on passait à Lyon et c’est chouette de voir l’évolution qu’il donne à la maison. »