Martin Luminet, dans le chant de bataille
À 35 ans, le chanteur et compositeur lyonnais Martin Luminet sillonne les routes de France, en tournée pour son tout premier album, Deuil(s). Un disque aux sonorités mélancoliques, teintées à la fois de rap et de chanson française, dans lequel il dévoile une sensibilité rare et lumineuse. Rencontre avec un amoureux des mots, dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Par Mathilde Beaugé
Notre rencontre avec Martin Luminet
On s’est donné rendez-vous dans une toute nouvelle pâtisserie lyonnaise. Manger, c’est quelque chose d’important pour vous ?
« Mon grand-père était chocolatier donc c’est quelque chose d’un peu sacralisé. Le chocolat était central dans sa vie et celle de notre famille. La bouffe a une place importante pour moi car le repas était le seul moment de la journée où on se retrouvait tous ensemble. J’ai grandi entre la chocolaterie de mon grand-père et la pâtisserie de ma grand-mère. Ce sont des gens qui ne parlaient pas beaucoup mais ils mettaient beaucoup d’amour dans leurs plats.
Vous avez grandi à Saint-Bonnet-de-Mure, quels souvenirs en gardez-vous ?
Quand j’étais petit, il n’y avait aucune activité culturelle. Pas de cinéma, pas de salle de concert… On sentait qu’il n’y avait pas eu de politique à ce niveau-là, contrairement à Bron avec le cinéma Les Alizés ou l’espace Albert-Camus. Quand l’émancipation ne se fait pas par l’art, elle se fait davantage par le sport. Alors, je faisais du basket de manière effrénée, sans vraiment savoir pourquoi.
Quand je suis né, mon grand-père commençait à avoir un certain âge et à réfléchir à ce qui allait se passer après lui. On a projeté très rapidement que j’allais être le repreneur de la chocolaterie. Très vite, tout a été écrit et dessiné. Le basket, c’était pareil. Des membres de ma famille avaient fait carrière dans le basket et on m’y a mis aussi. Ce truc tracé n’a jamais été remis en question pendant toute mon enfance et mon adolescence, jusqu’à ce que je commence à faire de la musique à 18 ans. À ce moment-là, j’ai réalisé que c’était une prison dorée.
« Quand tu passes 18 piges à côté de tes émotions et que tu t’autorises enfin à les considérer, c’est tout un barrage qui cède »
Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Avec mes copains de lycée, on avait pris le parti de faire tous les sports possibles. L’année du bac, les garçons ont décidé de faire de la musique. Ils ont tous tiré au sort un instrument, mais moi, ça ne m’avait jamais traversé l’esprit de faire de la musique. Je n’avais aucune culture musicale, mes parents écoutaient Alain Souchon et Laurent Voulzy pour faire passer les voyages mais sans plus. Au début, j’allais assister aux répétitions de mes copains, mais sans y prendre part. Je les voyais se dévoiler intimement, se dire de plus en plus de choses. C’est assez rare pour des gars de se mettre à nu. Je les voyais éclore, je trouvais ça hyper beau et j’ai eu peur de passer à côté de quelque chose.
Ils cherchaient quelqu’un au chant et un jour, je ne sais pas ce qui m’a pris, je leur ai dit que j’avais déjà écrit des textes et que j’étais prêt à me lancer. C’était faux, mais c’était plus fort que moi. Je n’avais plus le choix alors je me suis mis à écrire, et ça a ouvert un vrai truc. Quand tu passes 18 piges à côté de tes émotions et que tu t’autorises enfin à les considérer, c’est tout un barrage qui cède. C’était fou.
À quel moment est-ce devenu une aventure en solo ?
Mes copains ont commencé à s’épanouir dans leurs boulots et moi je me suis mis à écrire des chansons tout seul. Les études de sciences politiques me plaisaient mais m’intéressaient de moins en moins au fil du temps. La musique me rendait nettement plus heureux. J’ai mis trois ans à gérer la fracture familiale en y allant tout doucement, je bossais dans une librairie à côté et j’ai fini par m’inscrire au conservatoire de Lyon. Quand j’ai senti qu’on s’intéressait à moi et qu’un accompagnement était possible, j’étais prêt à tout lâcher. J’avais 23 ans. J’y suis allé sans parachute et sans plan de vol.
Que gardez-vous de ces premières scènes et de vos rencontres avec le public lyonnais ?
J’ai été très accompagné à Lyon, par exemple à la salle Léo-Ferré de la MJC du Vieux-Lyon. Lorette Vuillemard (chargée de coordination culturelle et programmatrice dans plusieurs salles de l’agglomération, NDLR) s’est battue pour que les artistes ne végètent pas à Lyon, qu’ils puissent évoluer. C’est grâce à elle que j’ai pu commencer à me dire que ça allait dépasser ma ville : pouvoir être intermittent, avoir un tourneur, un label, construire quelque chose de viable… J’ai fait une première partie au Marché Gare qui m’a amené à une autre au Transbo, et j’ai gravi comme ça tous les échelons de Lyon. Le truc génial, c’est que c’étaient des salles où moi j’allais voir des concerts, où je rêvais au fond de moi de jouer.
Quels sont les artistes qui ont été fondateurs pour vous ?
À Lyon, il y avait le chanteur folk Frédéric Bobin que j’aimais beaucoup. Sinon j’ai vu un nombre incalculable de fois Dionysos. Au Transbo ou à Fourvière, je me prenais claque sur claque… Mais surtout, ce qui m’a beaucoup nourri à Lyon, c’est que ma fac était à côté du Comoedia. C’est vraiment là que j’ai fait ma culture au sens large. Comme pour la musique, j’étais passé à côté de tout un pan de l’art du cinéma. Un jour, entre deux cours, je suis allé voir Les Chansons d’amour de Christophe Honoré. J’ai été tétanisé. Ça a tout changé dans ma vie et dans ma tête. Je voyais de la musique vivante, du cinéma vivant, des comédiens qui chantaient, une espèce de tension, d’aventure humaine et intime qui m’a bouleversé. Avant, j’écoutais beaucoup de rap, genre Youssoupha ou Diam’s. Il y avait des textes conscients, de la colère, mais il n’y avait pas de rapport à l’intime, aux blessures amoureuses, à la sensibilité… Un truc me manquait, auquel je n’avais jamais eu accès dans la musique. Et puis Alex Beaupain est arrivé, Vincent Delerm, Jeanne Cherhal, Barbara, des figures importantes.
Votre premier album, Deuil(s), est sorti en 2023. Qu’avez-vous eu envie de raconter à travers lui ?
À la base, je voulais écrire sur ce que l’époque faisait de nous. On était en pleine pandémie, avec la résurgence de plein de conflits internationaux, sociaux… Entre-temps, j’ai perdu mon grand-père, dont j’étais très proche. Je ne voulais pas me laisser avaler par la tristesse et j’étais déterminé à continuer à écrire. Au même moment, j’ai aussi vécu une histoire d’amour magnifique, qui a fini par se terminer. Alors je me suis mis à écrire sur le deuil, l’absence, le vide et aussi une génération, la mienne, qui n’a pas été la génération épargnée qu’elle pensait être, qui se confronte aux changements climatiques et à de nouvelles formes de chaos. J’ai néanmoins eu envie d’écrire avec optimisme, car je suis profondément optimiste sur ces questions-là. Même quand on pense que tout nous met à terre, il y a un truc qui fait qu’on se relève.
« Il n’y a rien de plus beau que de jouer dans un endroit où on a eu des rêves »
Vous avez joué aux Nuits de Fourvière cette année pour la première fois. C’était comment ?
Le truc le plus fou de ma vie. Apprendre qu’on allait faire l’Olympia a été une vraie grosse émotion, mais savoir qu’on jouait aux Nuits de Fourvière, ça a été encore plus grand. Adolescent, je suis allé voir plein de concerts là-bas et je m’autorisais à peine à effleurer ce rêve-là. Il n’y a rien de plus beau que de jouer dans des endroits où toi-même tu as eu des rêves et des émotions fortes. Ça venait consoler tellement de choses de ma vie. Il y avait dans le public plein d’amis et de membres de ma famille. On est un des rares groupes de première partie à qui le public a demandé un rappel. »
Biographie
Martin Luminet est né en 1989 à Rodez.
Très vite, ses parents s’installent en périphérie de Lyon, à Saint-Bonnet-de-Mure.
Alors qu’il est encore très jeune, sa famille envisage qu’il reprenne l’affaire familiale de la chocolaterie de son grand-père. C’était sans compter sur l’arrivée de la musique dans sa vie, à l’âge de 18 ans.
Ses copains cherchent un chanteur pour leur groupe et Martin leur assure qu’il écrit déjà des textes alors qu’il n’en est rien. Ce sera le déclic pour se lancer, jusqu’à construire une carrière solo quelques années plus tard en parallèle de ses études de sciences politiques à Lyon 2.
À Lyon, À Thou Bout d’Chant et la salle Léo-Ferré lui ouvrent les portes de ses premiers concerts. « En 2017, j’ai assumé de vouloir vivre de la musique. Des opportunités m’attendaient à Paris et j’y suis allé », retrace-t-il.
Son premier album, Deuil(s), est sorti en février 2023. Aujourd’hui en pleine tournée et écriture de son prochain disque, il a chanté avec Gaëtan Roussel sur la scène des Francofolies de La Rochelle et fait danser le public des Nuits de Fourvière en première partie de Louise Attaque cet été.
Il sera en concert le 23 novembre 2024 à Lyon, au Marché Gare.
Le carnet d’adresses de Martin
Les Belles ÂmesUn restaurant-pâtisserie végan ouvert en janvier dernier. Martin Luminet est un proche de sa fondatrice, Claire Laborde. « J’ai vu tout le coeur qu’elle y a mis et à quel point elle a essayé de mettre le véganisme au même rang que toute la gourmandise qu’on peut trouver dans la gastronomie française. Je trouve ça très ambitieux d’amener ça à Lyon ! Il n’y a que des bons produits, hyper bien sourcés et une vraie connexion avec la musique dans ce lieu. »
3 rue Jangot, Lyon 7e Chocolaterie Maison Dufoux
« La chocolaterie de mon grand-père. Sa philosophie à lui se retrouvait dans ses chocolats, le goût des autres et celui de faire plaisir tout en étant très fin. »
15 rue des Archers, Lyon 2e Cinéma Comoedia
« Ils ont une programmation géniale. J’ai commencé à dévier de la fac à cause de ce cinéma, où j’ai fini par aller plus souvent qu’en cours. Une fois, je suis allé voir trois fois dans la même journée Manchester by the Sea. »
13 avenue Berthelot, Lyon 7e Le jardin des Curiosités
« Un petit parc pas trop connu du côté de Saint-Just, avec un terrain de basket. On a vraiment l’impression d’être au-dessus de Lyon, les arbres s’ouvrent et on est comme un spectateur de cinéma. »
8 place de l’Abbé-Larue, Lyon 5e Les Assembleurs
« Je n’y étais pas allé depuis huit ans et la dernière fois, de retour à Lyon, ma soeur m’a organisé une surprise avec tous mes copains. D’un coup, j’ai vu sortir de la cuisine un vieux pote de collège… C’est devenu son restaurant. »
12 rue Mazenod, Lyon 3e