Tous au thé à Lyon
Boisson aux 1 000 vertus, le thé gagne peu à peu de nouveaux adeptes, attirant dans ses sachets un public plus jeune et nombre de gastronomes qui le dégustent chaud ou froid, appréciant ses notes aromatiques à la façon d’un bon vin.
Par Véronique Lopes.
Autrefois cantonné au petit déjeuner et au goûter, le thé s’invite désormais à l’heure des cocktails et des repas. Plusieurs grands chefs font même appel à des « sommeliers du thé » pour créer un accord parfait avec leurs plats. Le thé ferait-il de l’ombre au vin ? Peut-être bien. Même le concours de Meilleur ouvrier de France contient une épreuve de dégustation de thés pour laquelle Valérie et Jean-Claude Collet, repreneurs de la maison de thés lyonnaise Cha Yuan, ont fourni différents échantillons. « Il y a deux ans, les candidats devaient savoir servir le thé, le décrire et reconnaître ses variétés », explique cette passionnée, invitée à travailler sur des accords mets et thés pour plusieurs tables étoilées comme Saisons à Écully, La Mère Brazier à Lyon, ou La Maison Bleue de Yoann Conte à Annecy.
Des étoiles et des thés
Pour le Lyonnais Alain Alexanian, fervent défenseur d’une restauration plus vertueuse et végétale, marier les notes subtiles du thé avec des mets est une évidence de longue date. Alors qu’il est chef du restaurant L’Alexandrin, étoilé de 1991 à 2007, il remarque que ses confrères n’ont que peu de connaissance sur l’univers du thé. « Soit ils n’en proposaient pas, soit le thé était en sachet », se remémore le chef à la veste orange.
Il se met alors au travail, élaborant une sélection de thés qu’il propose à ses confrères restaurateurs. Puis il développe sa propre gamme pour laquelle il écrase ses poivres, choisit ses fleurs, ses fruits… C’est ainsi que naît Kamélya en 2010. Une sélection de thés d’origine à laquelle se mêlent une vingtaine de « thés griffés » sortis de son imagination. Des thés « aussi bons gustativement que beaux visuellement ». Il se concentre également sur la création d’infusions,« car elles sont le miroir d’un terroir et d’une région ».
"Il existe un thé pour chacun d’entre nous"
Aiguiser son palais
À y regarder de plus près, c’est avant tout la méconnaissance du thé qui l’a fait rester dans l’ombre si longtemps. S’il n’y a pas – encore – de formation spécifique au thé en France, les écoles dédiées aux arts culinaires et l’hôtellerie s’y sont mises. À Lyon, l’Institut Lyfe (anciennement Institut Paul-Bocuse) propose à ses élèves des cours de dégustation et même une mention complémentaire.
De 2016 à 2021, ces sessions ont été animées par un jeune entrepreneur du milieu : Julien David, fondateur de la marque ligérienne FBKT, La Fabrikathé. À charge pour lui de sensibiliser les étudiants aux arômes, aux notes et aux accords possibles du thé, mais aussi à la manière de le servir et de lui laisser exprimer son potentiel. Une expérience à laquelle participe aussi Camille Lelaurin,
master tea sommelier chez Palais des Thés depuis cinq ans. Elle y apprend aux amateurs de thé les bons gestes d’un service de qualité. Un art que la jeune femme de 33 ans jugera même lors d’une prochaine épreuve de « sobrellerie », organisée à l’Institut Lyfe.
Un peu de fromage avec votre thé ?
Reconnaître les thés pour mieux les associer, c’est aussi le métier de Florian Aumaire, fondateur des Thés sur Terre, dans le quartier d’Ainay, à Lyon 2e. Dès l’ouverture de sa boutique, il a organisé des dégustations thés et fromages. Une association, a priori surprenante, qui fait mouche.
« Notre boutique n’est pas sur une approche traditionnelle du thé. Mon objectif est d’en parler comme un vin, avec sa complexité, son terroir, l’histoire du producteur… Pour moi, il faut se réapproprier le thé de manière plus occidentale », analyse-t-il. Invité comme juré en Asie, son approche et son palais lui ont ouvert les portes de certains petits producteurs, très confidentiels, capables de lui livrer de grands crus rares. Inutile en revanche de chercher chez lui des thés parfumés au gâteau ou aux fruits rouges : « Cela ne peut pas être créé naturellement, donc je n’en propose pas. »
Reste la question essentielle : celle du plaisir que l’on prend à siroter le précieux breuvage, encore incompris dans sa complexité, son rapport au temps ritualisé et le luxe qu’il représente.
« Le thé est un produit noble, il a un coût et n’est pas si facile à acheter. Il faut prendre le temps de sentir, de goûter, et petit à petit, on se crée sa propre bibliothèque gustative », commente Camille Lelaurin. Une vision que partage Nathalie Cotte, à la tête de la jeune marque lyonnaise, Human &
Tea :« Il existe un thé pour chacun d’entre nous. » Reste donc juste à trouver lequel.
Trois questions à Julien David
COFONDATEUR, AVEC SA FEMME NATACHA, DE LA MARQUE FBKT, LA FABRIKATHÉ, L’ENTREPRENEUR CULTIVE DANS LA LOIRE SES PROPRES THÉIERS.
Le thé voyage beaucoup pour arriver en France, est-ce ce qui vous a motivé à créer votre jardin botanique ?
Depuis le démarrage de La Fabrikathé, nous importons nos thés en direct de tous les pays producteurs : le Japon, l’Inde, la Chine, le Vietnam, la Thaïlande, le Mozambique ou encore Taiwan et la Corée. En 2020, nous avons eu la chance de passer nos commandes deux semaines avant le Covid et la fermeture des frontières. Cela nous a donné l’idée de tenter de faire pousser des théiers ici, dans la Loire, à côté de notre entrepôt. Nous avons acheté un terrain agricole et l’aventure a commencé.
Le climat en France est pourtant différent de celui de l’Asie…
On est allé chercher des théiers dans les montagnes de Turquie, où le climat est sensiblement identique au nôtre. On les a acclimatés au bord du lac Majeur, en Italie, puis nous les avons plantés ici. Aujourd’hui, nous avons 1 600 pieds, dont 450 que nous avons fait reproduire à partir de graines.
Nous avons essuyé quelques échecs, mais nous commençons à faire nos premières récoltes. Il faut 7 000 pieds de théiers, soit un hectare, pour obtenir 50 kg de feuilles de thé séchées. Pour nous qui vendons une vingtaine de tonnes de thés et d’infusions par an, cette production est anecdotique.
Mais l’avenir du thé pourrait être local ?
Nous sommes encore en train d’apprendre beaucoup de choses, sur la partie agricole ou le séchage des feuilles. Les premiers essais sont plutôt prometteurs. Nous faisons aussi pousser une douzaine de variétés de plantes pour nos infusions. Chaque année, nous récoltons entre 300 kg et 400 kg
de plantes médicinales et aromatiques. Cela nous rend autonomes sur 20 % de nos besoins. Pour le thé, il faut attendre, mais il y a déjà une vingtaine de projets de plantations de théiers en France, principalement sur la côte Atlantique. Qui sait… demain nous serons peut-être un pays de thés.
15 rue de la Charité, Lyon 2ème
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Portraits
Florian Aumaire, créateur d’accords
Pour Florian Aumaire, il est nécessaire de présenter le thé comme un vin, de parler de sa complexité, de son terroir, de sa variété, de l’histoire de son producteur et de son approche gastronomique. « Il faut approcher le thé de manière plus occidentale, et faire des accords mets et thés », explique le lauréat de la Tea Masters Cup 2018 en France, également juré au niveau international. Dès l’ouverture de sa boutique, Les Thés sur Terre, à Lyon 2e, cet ancien du Palais des Thés n’a eu de cesse de marier les saveurs subtiles des thés à la gastronomie. D’abord avec Les Éclaireurs, où ses thés sont utilisés comme ingrédients dans des éclairs. Puis avec la Maison Pignol pour laquelle il a sélectionné un thé au jasmin utilisé dans la confection d’un gâteau pour la Saint-Valentin. Depuis, il signe les cartes de thés des deux établissements et fournit aussi coffee shops (Mokxa, Fika, Mill Factory, Caillou ou Magma) ou restaurants (Milprée, Prairial*). Honorés de travailler avec ces belles maisons, Florian et sa femme Sophie gardent les pieds sur terre et continuent de transmettre leur passion pour les thés. Le couple organise deux fois par semaine des dégustations associant le thé au fromage, au chocolat ou à d’autres produits issus des boutiques voisines.
Les Thés sur Terre47 rue Franklin, Lyon 2ème
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Élodie Fagot, le thé cousu main
« Ce n’est pas moi qui ai découvert le thé, c’est lui qui m’a découverte », s’amuse Élodie Fagot, à la tête depuis deux ans de l’entreprise Tea Heritage. En 2024, elle a dépassé les deux millions de sachets de thés vendus dans le monde. Une success-story qui la surprend encore. Elle qui, petite, n’aimait pas particulièrement le tea time qu’on lui imposait à 17 h, s’est retrouvée à confectionner un sachet de thé en forme de coeur avec un filtre à café pour une Saint-Valentin. Elle poste sa création sur Instagram et dans la foulée, les demandes pleuvent, ce qui l’encourage à ouvrir, timidement, une boutique sur Etsy. « Ma première cliente était de Manchester. Je me suis dit que si des Anglais achetaient mon thé, c’était un signe. » Aujourd’hui, Élodie a plus de 20 recettes de thés et de tisanes bio, sourcés
équitablement, et une trentaine de formes de sachets en coton bio non tissé : nuage, écureuil, tête de chat, étoile, lune, tour Eiffel… Des créations qui partent en majorité sur la côte est des États-Unis. La trentenaire ne compte pas s’arrêter là, elle espère désormais conquérir l’Italie, pays roi du café, où tout est à construire autour du thé.
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Nathalie et Daniel Cotte, le goût du voyage
Leur carrière les a amenés à voyager à travers le monde, mais c’est leur envie d’entreprendre et l’amour du thé qui a mené Nathalie et Daniel Cotte à Lyon. « Avoir un projet qui met les sens en éveil, et notamment le goût, devait se faire dans la capitale mondiale de la gastronomie », lance Nathalie, cocréatrice de la marque Human & Tea depuis 2016. Dans leurs boutiques, deux à Lyon et une à Paris, chaque catégorie de thé – vert, noir, bleu, rooibos orangé, blanc – bénéficie de sa propre couleur de boîte. Au total, une centaine de références de thés et d’infusions en provenance de plantations de Chine, d’Inde, du Sri Lanka, du Japon, de l’Himalaya et du Tibet sont proposées. Chaque pays ou chaque région dispose de son propre mode de culture, c’est pourquoi chaque variété reflète son terroir d’origine, à la manière des grands crus dans le vin. De quoi voyager à chaque tasse.
Human and Tea11 rue des Quatre Chapeaux, Lyon 2ème
23 rue Sainte-Hélène, Lyon 2ème
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