Rencontre avec la réalisatrice Erige Sehiri
Pour faire du cinéma, elle a pris le chemin des écoliers, des Minguettes à Los Angeles en passant par le journalisme. À 40 ans, la cinéaste franco-tunisienne Erige Sehiri, originaire de Vénissieux, signe Sous les Figues, son premier long-métrage de fiction. Pré-sélectionnée aux Oscars 2023 dans la catégorie Meilleur Film International, elle nous livre ses secrets de tournage et nous raconte son histoire avec Lyon, berceau de sa double-culture.
Ce métier a toujours été une évidence ?
J’ai toujours su que je voulais faire du cinéma, mais ça me paraissait très inaccessible. Le tout premier déclic a eu lieu en regardant Titanic ! À l’époque, je ne savais pas que je voulais être réalisatrice, mais je savais que je voulais faire du cinéma. On entendait beaucoup « le réalisateur » et pas vraiment « la réalisatrice ». Alors, après mon bac, je suis d’abord partie aux États-Unis, pensant faire une école de cinéma à Los Angeles.
Comme ça, sans attaches ?
Je suis allée directement là-bas en pensant que la vie était facile. C’était très naïf de ma part. Je me suis dit « je vais y aller et une fois sur place, je vais trouver ». Finalement, j’ai travaillé dans des cafés. Mon père m’avait dit « on ne fait pas de cinéma si on n’a pas d’argent », alors j’ai fini par faire des études de finance. J’ai obtenu un poste au Luxembourg, à la banque, j’ai travaillé quelques années et mis de l’argent de côté. Avec, j’ai réalisé mon premier documentaire. Beaucoup de femmes réalisatrices qui n’en avaient pas les moyens au départ sont passées par la case documentaire.
Vous auriez pu faire carrière dans le journalisme ?
J’ai fait un stage à Jérusalem avec un correspondant d’une chaîne française, qui m’a tout appris. J’ai été fixeuse, freelance, je faisais du documentaire en parallèle. Mais je sentais bien que le journalisme, ce n’était pas ça. Ce n’était pas la manière dont j’avais envie de raconter les choses. La révolution tunisienne a éclaté et j’ai écrit un documentaire qui s’appelle Le Facebook de mon père, mon premier film. En parallèle, j’ai cofondé un média avec six autres journalistes, Inkyfada, une sorte de Médiapart arabe. J’étais contactée par des médias pour devenir correspondante, j’avais ce dilemme de carrière : me lancer dans le journalisme international ou croire encore en mes rêves et ma passion. Le cinéma me manquait, je regardais beaucoup de films et j’ai commencé à les regarder différemment. Je voulais voir jusqu’où un réalisateur pouvait aller, comment on écrit un film… Quand j’ai écrit Sous les Figues j’avais la trentaine et je me suis dit qu’il fallait absolument que ça marche, sinon je ne savais pas ce que j’allais devenir. C’était vital.
Qu’est-ce qui a nourri ce film, quelles ont été vos influences ?
La liberté de ton, le rythme des dialogues, la manière dont les gens s’expriment totalement naturellement ont été influencés par Abdellatif Kechiche. J’ai beaucoup pensé à L’Esquive qui a été ma première découverte du cinéma indépendant d’auteur. À l'époque, je regardais beaucoup de western ou de films d’espionnage avec mes frères… Quand j’ai découvert ce film, tout à coup il y avait un autre langage. Mais Sous Les Figues a davantage été nourri par la peinture impressionniste que par d’autres films. J’avais envie de revenir à l’essence du cinéma, comme les premiers pas. Juste des gens qui parlent. Il y a quelque chose de tellement beau dans cette authenticité et cette simplicité.
Vous dites avoir voulu faire vivre une journée dans la vie des autres…
Oui, c’était ça la démarche à la base. On est entourés sans cesse de publicités, d’images, de films, d’informations… J’ai voulu expérimenter ce que ça fait de rentrer dans une bulle et de revenir à des choses presque basiques. J’avais envie de plonger les gens sans violence dans leurs conversations sur l’amour, le travail, l’argent… Soit on rentre dans cette bulle soit on n’y rentre pas.
Quels ont été les coulisses de votre présélection aux Oscars ? C’est prestigieux pour un premier film…
Surtout pour un film aussi simple, à petit budget. J’ai envoyé les premières images à la Mostra de Venise et on a été sélectionné pour leur prix d’aide à la postproduction. Ça nous a mis sur les radars. Ensuite, on a envoyé le film à un vendeur international en contact avec les grands festivals. Ça n’est pas allé plus loin, mais c’est déjà génial d’être arrivés dans la liste officielle des meilleurs films étrangers. On a un distributeur américain ce qui veut dire que le film va sortir aux États-Unis. Or, il y a là-bas très peu de films en langue étrangère et encore moins en arabe !
Au milieu du film, dans une scène de repas, vos comédiennes mangent à pleine dents, ce qui est plutôt rare au cinéma…
Le partage des repas que je voyais quand on allait en vacances m’a toujours marquée. Et puis elles mangent des pâtes ; on pense toujours au couscous mais en Tunisie le vrai plat national c’est les pâtes, comme en Italie. Cette scène, elles l’ont tournée pendant une semaine en mangeant tous les jours les pâtes, je peux vous dire qu’à la fin elles n’en pouvaient plus !
Lyon est un haut lieu de la gastronomie. La cuisine, la bonne bouffe, c’est quelque chose d’important pour vous ?
Ma mère est cheffe de cuisine dans les collèges. Elle cuisinait énormément à la maison, elle invitait beaucoup de gens à la maison et faisait beaucoup de buffets, toujours super bien décorés. Elle a découvert la gastronomie française plus tard, au début elle cuisinait toujours des plats tunisiens. Maintenant à la maison, on mange quasiment français en fait. J’ai vu son évolution dans la manière dont elle cuisine.
Quelle est votre relation à cette ville ?
Je suis née à Villeurbanne et j’ai grandi à Vénissieux. Je vis à Tunis mais mes parents sont à Confluence et ça me fait toujours plaisir de revenir. Je viens assez souvent, une fois par mois. Quand ma mère est arrivée à Vénissieux, c’était le début des émeutes de quartier avec la marche pour l'égalité en 1983. Elle était au 9e étage avec une super belle vue. D’un côté la vue sur Feyzin et de l’autre sur les voitures qui brûlaient. Toute sa vie, elle a eu envie de revenir à Lyon mais pour des raisons économiques c’était compliqué, alors on est restés à Vénissieux. C’est ma mère qui m’a transmis la culture de Lyon et son amour pour cette ville, car c’est elle qui est restée. Moi, je suis partie à 18 ans et j’ai grandi aux Minguettes, donc ma culture lyonnaise est finalement assez limitée mais depuis qu’elle vit à Confluence je suis devenue très proche du second arrondissement, de la Saône, du musée. J’adore faire du vélo avec mon fils… En fait, je suis vraiment une fille de confluence, dans tous les sens du terme ! Ça me représente assez bien.
Et quand vous étiez ado ?
On ne sortait pas beaucoup. De temps en temps, on allait voir Guignol dans le Vieux-Lyon et quand c’était l’Aïd on allait dans le centre-ville. Lyon, c’était la fête, presque un voyage. J’allais aussi au parc de la Tête d’Or et à Miribel-Jonage, pour faire des barbecues le dimanche.
De quoi avez-vous envie pour la suite ?
Quand on a une double-identité on est toujours en recherche d’une partie de notre identité. Mon identité française ressort de plus en plus et j’ai envie de faire un film en France. Je n’ai jamais cru qu’un jour je représenterais la Tunisie. Je me rends compte à quel point dans mon cinéma je fais un cinéma de double culture. Les César, ça veut dire qu’on m’accepte. C’est quelque chose qui me fait toujours rêver. Je prépare mon deuxième long-métrage de fiction. J’adorerais mélanger des acteurs non professionnels et des professionnels.
CARNET D’ADRESSES
Musée Miniature et Cinéma
« Le musée du cinéma et de la miniature est un incontournable au cœur du Vieux-Lyon. Lorsque des amis me rendent visite ou lorsque je suis de passage j'y retourne avec les grands et les petits »
60 rue Saint-Jean, Lyon 5ePizzeria Napoli Chez Nicolo & Franco Morreale
« J'aime cette pizzeria très conviviale tenue par deux frères. J'y vais depuis au moins 15 ans. Les pizzas sont délicieuses et les produits frais. »
45 rue Franklin, Lyon 2eLe Parc de la Tête d'Or
« Ce parc c'est toute mon enfance, et même avant, puisque mes parents y ont réalisé leurs photos de mariage. C'est quand même une chance d'avoir un si beau parc en plein centre-ville. Avec les berges, c'est un régal. »
Lyon 6ePatisserie El Ghoul
« Je vais dans cette pâtisserie spécialement pour manger des beignets traditionnels tunisiens les "fricassés". Ce sont des beignets salés avec du thon, de l’œuf, de la harissa et de l’olive. Tout est cuisiné devant vous et à l'ancienne.»
6 rue Paul Bert, Lyon 3eCinéma Opéra
« Une salle de cinéma près de la place des Terreaux, qui date de 1918 ! Elle a été rénovée, et on y projette les plus beaux films du moment ainsi que des rétrospectives, documentaires et fictions. Parfait pour les cinéphiles. »
6 rue Joseph-Serlin, Lyon 1er
Propos recueillis par Mathilde Beaugé.